Le contentieux des saisies opérées en application des sanctions européennes liées à la guerre en Ukraine commence à arriver dans les tribunaux, en particulier en ce qui concerne l’immobilisation de navires appartenant à des personnes visées par les sanctions de gel des avoirs.
Les mesures pouvant être mises en œuvre par les douanes, on pouvait penser qu’il convenait de saisir le tribunal judiciaire, dès lors que l’article 357 bis du code des douanes désigne la compétence du tribunal judiciaire pour les “contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par l’administration des douanes et des autres affaires de douane n’entrant pas dans la compétence des juridictions répressives“.
En l’espèce, la société Alpha LLC a vu un de ses navires immobilisé le 1er mars 2022 dans le port de Marseille.

En effet, ce navire était exploité par la société Alpha, mais il est apparu qu’il appartenait à la société JSC GTLK, société russe visée par des sanctions de gel des avoirs par l’Union européenne depuis le 8 avril 2022. Cette société est détenu à 100% par le ministre russe des transports, M. Vitaly Gennadyevich Savelyev, qui est lui visé par des sanctions de gel des avoirs depuis le 28 février 2022. Les douanes ont donc pris un procès-verbal d’immobilisation.
Considérant que ce procès-verbal était un procès-verbal de douane, Alpha LLC a saisi en référé le Tribunal judiciaire de Marseille pour obtenir l’annulation de ce procès-verbal et de la mesure d’immobilisation. Par ordonnance du 29 avril 2022, le Tribunal a rejeté la demande, se considérant comme incompétent. Alpha LLC a fait appel de cette ordonnance devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.
La Cour d’appel confirme cette ordonnance. Elle considère en effet que le procès-verbal n’a pas été pris dans une “affaire de douane“. Elle considère que “l’action des douanes ne porte pas ici sur la constatation ou la répression d’une infraction douanière, mais sur la mise en œuvre d’une disposition européenne d’application immédiate, à l’endroit de laquelle l’administration française a pour seul pouvoir d’appréciation l’identification du propriétaire ou de la personne contrôlant les avoirs ou ressources économiques gelées“. Ainsi, la compétence spéciale de l’article 357 bis du code des douanes n’est pas applicable.
La Cour d’appel se déclare incompétente, et renvoie Alpha LLC à se pourvoir devant le tribunal administratif de Marseille.
Il convient de noter que cette décision est conforme à celle prise par le Tribunal judiciaire de Rennes, dans le cadre d’un autre gel d’un navire exploité par Alpha LLC et immobilisé au port de Saint-Malo. Le Tribunal s’était déclaré incompétent, après avoir émis une demande d’avis au Tribunal administratif de Rennes. Par un jugement du 27 mai 2022, le Tribunal administratif de Rennes a confirmé la validité de la mesure d’immobilisation.
(CA Aix-en-Provence, 12 juillet 2022, n° 22/07066)